Les accords prévoient que tout investisseur étranger puisse réclamer des dommages et intérêts à un pays européen dans lequel il aurait investi, si ce pays adopte une loi qui pourrait réduire son bénéfice potentiel. Exemples : le relèvement des minima sociaux, l’interdiction d’une semence ou d’un pesticide, la hausse de l’impôt sur les sociétés en Irlande ou au Luxembourg… seraient passibles de poursuites.Pour cela, il est prévu de créer un tribunal supra national, dénommé « panel d’arbitrage. Seuls les investisseurs étrangers auront le droit de le saisir. Pas les Etats, ni les entreprises nationales. C’est l’arbitrage Tapie, avec tous les défauts qu’on lui connait qui va être mis en place. S’il est approuvé, ce système (irréversible) aura trois conséquences graves.
Il opèrera un transfert irrémédiable d’une part de notre souveraineté vers le secteur privé. Avec un tel outil de rétorsion, les investisseurs étrangers seront en mesure de faire « d’amicales pressions », assorties de menaces de procès, sur les Etats qui voudront légiférer sur l’environnement, la santé ou autre domaine sociétal, dès lors que ces initiatives pourraient faire baisser leur profit. La loi viendra graver leurs rentes dans le marbre ! C’est une prise de pouvoir sans précédent.
Cet accord consacrera juridiquement la suprématie du droit des affaires sur les autres droits. Les arbitres jugeront au vu de deux éléments : le texte de l’accord de libre échange, et la vérification qu’il y aura baisse du profit potentiel. Les lois nationales ou européennes, y compris les Constitutions et les droits fondamentaux qu’elles protègent, ne leur seront pas opposables, pas plus que l’intérêt général. Une fois l’accord signé, les citoyens seront structurellement placés au service de la logique financière des entreprises multinationales. Les populations en situation de pauvreté, en particulier, perdront les quelques chances qui leur restaient, de sortir de leur condition.Enfin, un avantage injustifié sera donné à l’investisseur étranger. En contrepartie du droit exorbitant qui lui est reconnu, il n’est pas prévu d’exiger qu’il soit à jour de ses impôts, par exemple, au cours des dix dernières années… Google, avec qui la Commission ferraille depuis plus de 20 ans pour abus de position dominante sans résultats réels, et qui ne paye quasiment pas d’impôts en Europe aura le droit d’attaquer l’Europe et ses 28 pays si une Loi sociétale vient réduire ses profits. Idem pour Apple, Starbucks etc….Pourquoi l’Union Européenne défend t-elle becs et ongles ce système qui est à l’évidence inéquitable pour les citoyens-contribuables et pour les entreprises nationales ? Pourquoi la négociation se déroule t-elle dans la plus grande opacité ?Quelle alternative ? La réponse est connue. Elle consiste à calquer la procédure de règlement des litiges sur le modèle qui a été mis au point à l’Organisation Mondiale du Commerce en 1994, et qui fonctionne correctement.De façon très simplifiée, le système de l’OMC est organisé de la façon suivante:
1 – Il existe un « Organe de Règlement des Différends » dénommé ORD. C’est un Tribunal d’arbitrage.
2 – L’ORD ne peut être saisi que par un des Etats souverains signataires des accords de l’OMC. Aucune entreprise ne peut le saisir directement.
3 – La mission de l’ORD est très strictement encadrée dans les accords de l’OMC. Les règles sont claires et sont connues.
4 – Lorsqu’un Etat décide de saisir formellement l’ORD, la procédure s’engage très rapidement et une décision est rendue en 15 mois, appel compris.
5 – Les principes de fonctionnement sont les suivants : équité, rapidité, efficacité et solution mutuellement acceptable.
Cette solution est fondamentalement différente de celle envisagée par les Etats Unis et l’Union Européenne. En effet, au lieu de mettre en présence une multinationale étrangère et un pays, elle met en présence deux Etats souverains, donc deux peuples souverains, qui règlent un différend ensemble, par l’intermédiaire de leurs élus respectifs.
L’aspect « perte de souveraineté » ne se pose plus. Depuis 1994, tous les litiges liés à l’OMC se sont réglés de cette façon, et nulle entreprise ne s’est jamais plainte. Les risques de corruption sont limités au maximum, car les Etats surveillent ce sujet de très près. Le principe d’équité et de solution mutuellement acceptable permet d’élargir les débats.
La défense des investisseurs est très bien assurée, mais les investisseurs restent à leur place. Ils restent de simples investisseurs. Ils ne sont pas hissés au même niveau que les peuples souverains. Ce n’est pas anodin.
Bertrand de Kermel