Voilà des années maintenant que je passe d’un monde à l’autre, de ma douce et chère France aux pays en crises de par la planète…Et ici, au cœur du Sud Soudan, jeune pays qui a fêté ces trois ans d’existence mercredi 9 Juillet 2014, en pleine guerre civile ignorée des pays du Nord, je ne peux m’empêcher de ressentir profondément le manque d’ambition de nos interventions occidentales. Ou plutôt, l’énorme lacune, le décalage de nos projets et préoccupations.
Quand je m’arrête dans les gares ou les aéroports d’Europe, je vois tous ces magazines donnant des conseils pour maigrir, pour régler ses complexes, ses peurs, ses relations en couple ou au travail, et comment assortir son fard à joues avec les chaussures à la mode parce qu’on le vaut bien… Et que là, dans un pays qui a subi prés de 30 ans de guerre meurtrière et bestiale, on se contente de donner de l’argent au jeune gouvernement et quelques formations institutionnelles ! C’est déjà très bien me direz-vous, et je ne vous contredirais pas…Et puis soudain on les pointe du doigt en arrêtant tout soutien parce que que le Gouvernement éclate et qu’une autre ethnie prend le relais… Laissant alors sur les routes des armées non payés, des policiers frustrés, des professeurs qui retournent aux champs…comme dans tant d’autres pays.Comment nous autres, qui parlons encore tant de notre dernière guerre mondiale avec vigueur, pouvons-nous oublier si vite le malheur des autres ? Ignorer ce qui fait l’homme dans toute sa dimension ? Comment peut-on fermer les yeux sur sa mémoire, ce qui le constitue au plus profond de lui, ce qui fait sa dignité et sa capacité de résilience ? Comment peut-on se contenter de donner de l’eau potable, quelques sacs de céréales et des soins ? Tous ces services essentiels sont évidement indispensables. On parle de « sauver des vies », et c’est bien une priorité, notre mandat humanitaire non contestable. Le problème c’est qu’on oublie l’intériorité de l’homme pour passer au niveau suivant.Comment ignorer que ces générations se sont construites dans la brousse et dans la peur ? Comment ignorer ce qu’elles ont vu, vécu, ressenti ? Comment ne pas comprendre que si quelque chose est cassé à l’intérieur, si quelque chose est détruit, alors c’est toute la reconstruction d’une nation qui est inhibée… Toutes les personnes ne vivent pas avec la même capacité de récupération et de reconstruction, et le courage et la capacité de pardonner des peuples que je rencontre ne cessent de m’impressionner. Mais notre environnement nous façonne, l’instabilité de plusieurs générations entrave tout futur, la violence portée par l’histoire d’une nation ne pourra pas se résoudre pas avec quelques personnes plus fortes.
La communauté internationale a maintenant quelques équipes de résolution de conflit, d’experts facilitant le dialogue entre les belligérants, ce qui est déjà formidable même si elles ne sont pas assez nombreuses. Pourquoi ne pas aller plus loin ? Les techniques de communication non violente sont désormais connues sur toute la planète, et reconnus comme adaptées à tous types de culture et de langues. Pourquoi ne pas avoir l’ambition humaine, ou plutôt l’intelligence, d’investir dans une diffusion de ces techniques à tous les niveaux d’éducation possible ? Certaines techniques psychologiques de reconstructions suite à un traumatisme psychique ont fait leurs preuves en termes de reconstruction. Pourquoi ne pas former plus d’experts et les envoyer de par les pays en crise ? Pourquoi ne pas comprendre que nous sommes tous liés et interdépendants, et que la mort intérieure d’un peuple est tout aussi importante que sa mort tout court ?Au lieu de nous lamenter sur le manque d’espérance de nos nations qui méprisent leur trésor de paix et de relative concorde, songeons que notre énergie et notre confort viennent aussi de pays en crise, que notre sécurité dépend aussi de la leur et qu’il y va de notre intérêt avec une intervention plus intelligente. Songeons aussi au sens reconstructeur pour nous que pourrait avoir ces actions : combien il est plaisant, humanisant et stimulant de pouvoir rencontrer d’autres cultures et d’autres façons de voir le monde pour nous qui doutons de notre avenir malgré nos dotations présentes. A l’heure où les défis du vivre bien ensemble sont si nombreux, si interconnectés et multiples, la diversité et la créativité sont plus que jamais nécessaires pour chercher des solutions qui nous relèveraient tous.Ayons le courage et l’ambition de prendre l’Homme dans toute sa dimension, au Nord comme au Sud ! Assumons que nous sommes plus que des êtres vivants à maintenir en vie, et que nous avons besoin que tous vivent également en paix, en dignité, et avec plaisir !

Gwénola Grouhel