Dans la plupart des grandes démocraties du monde, on n’imagine pas que celui qui a brigué ou exercé le pouvoir et a été clairement « rejeté » ou « remercié » par le peuple souverain ose se représenter de nouveau comme leader de l’opposition et comme candidat à l’exercice du pouvoir suprême. On ne l’imagine pas aux Etats-Unis, au Royaume Uni, en Allemagne, dans les pays scandinaves ou même au Japon. Il n’y a qu’en France visiblement, un pays où il n’est plus possible de se déshonorer comme le disait Jean-François Revel, qu’une telle aberration est acceptée.
C’est ainsi qu’un candidat trois fois battu à des élections présidentielles a pu être élu au finish en 1981 et mener une politique dont nous ne sommes pas encore parvenus à nous remettre vingt ans après ! C’est ainsi que Giscard battu en 1981 a considéré qu’il ne devait s’agir que d’une erreur et qu’inévitablement après un temps de réflexion il reprendrait la place qui lui revenait de droit. Et que Chirac lui aussi a été élu président à sa troisième tentative, ce qui nous aura valu de 1974 à 2007 plus de trente ans d’intermittence chiraquienne.
Et c’est ainsi que pour relever la France nous voyons aujourd’hui surgir comme candidats au pouvoir suprême trois grands chevaux de retour qui ne semblent pas le moins du monde gêné de porter leur cuisant échec en bandoulière comme unique garant de leur réussite future.
Alain Juppé d’abord qui, en 1995, a mis en quelques mois la France dans la rue en proposant une réforme de la sécurité sociale qui en accentuait pourtant l’étatisation, et s’est lui-même mis à la porte en recommandant à Jacques Chirac en 1997 (à l’instigation de son émule Dominique de Villepin) la géniale tactique de la dissolution qui nous a valu les 35 heures (après le « succès » bien connu en matière d’emploi des « 39 » heures 15 ans plus tôt) ; puis François Fillon, qui a fidèlement gouverné notre pays sous la férule de son suzerain en montrant une appétence insatiable pour les couleuvres qui ont fait à l’avance la preuve de son caractère et de sa capacité à affirmer ses convictions quoi qu’il en coûte ; Nicolas Sarkozy enfin, le Thatcher français en peau de lapin, qui n’a rien fait de « sérieux » durant son quinquennat, sinon trahir les siens et décevoir tout le monde en allant dans tous les sens (à la fois) tout en endettant la France de la bagatelle de 700 milliards d’euros en cinq ans (rien de sérieux, pardon, sauf son « mariage à l’italienne » , l’invitation de Muhammar Khadafi à camper en 2007 près des Champs Elysées, avant d’aller le faire étriper sur place quatre ans après à la demande du camarade BHL, et la réception de Bachar El Assad comme hôte d’honneur au défilé du 14 juillet 2011!).
Nous ne parlerons pas ici de François Bayrou qui n’en démord pas, des générations de Le Pen qui attendront le temps qu’il faudra, de Louis XX dont les circonstances actuelles de déréliction de la démocratie française rendent le retour plus probable que jamais, dès lors que Jean d’Orléans, héritier du Comte de Paris, a définitivement compromis par une gaffe irréparable le projet de restauration orléaniste.
Ainsi va « l’étrangeté française » analysée en profondeur par Philippe d’Hiribarne (Seuil 2006), étrangeté d’une société égarée dans la modernité, obsédée par les rangs, les statuts et les quartiers de noblesse républicains, dont la classe politique décalée ne parvient pas à accéder à la maturité démocratique et qui ne vit la défaite électorale que comme une imposture à démasquer, un crime de lèse-majesté que seul un retour éclatant au pouvoir pourra réparer.
La France est loin d’avoir achevé sa révolution démocratique !